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14 août 2015 mise en ligne 17 août 2015
Journaliste : Alphonse Ken Logo, Journaliste
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Emission : Invité de la page économique
Invité : Dr Yves Ekoué AMAÏZO (YEA), Economiste, consultant international et Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence Afrocentricity Think Tank.
Contact : yeamaizo@afrocentricity.info
Thème : L’Endettement du Togo.
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L’ENDETTEMENT DU TOGO : FICTION OU RÉALITÉ ?
Contribution de Dr Yves Ekoué AMAÏZO, Directeur Afrocentricity Think Tank, Economiste
14 août 2015
1. Kanal FM : Est-ce que vous partagez le point de vue du Gouvernement qui annonce qu’il n’y a pas d’endettement excessif du Togo ?
Je vous remercie pour l’invitation. Tout d’abord, le gouvernement togolais n’est pas connu pour sa transparence en matière de statistiques économiques et financières. Donc, vous me permettrez de ne pas me reposer sur les affirmations des officiels togolais en charge des problèmes de l’endettement mais plutôt sur les chiffres du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale qui permettent d’abord d’avoir les informations, et ensuite de faire des comparaisons sur les mêmes bases avec d’autres pays ou régions.
Kanal FM : Votre position sur l’endettement du Togo ?
Cela étant dit, je souhaite aussi clarifier un autre point. Le problème n’est pas de s’endetter ou pas, mais de s’assurer que l’endettement engagé repose sur des arbitrages intelligents susceptibles à moyen et long-terme de soutenir la création de richesses au Togo, et donc d’améliorer le pouvoir d’achat et le bien-être des citoyens togolais. Aussi, parler d’endettement excessif ne veut rien dire si l’on ne sait pas au plan de l’information financière dans quels projets, les autorités togolaises ont engagé le pays. Il y a donc une sorte de « bon endettement » et il y a des « mauvais endettement » qui augmentent votre indépendance et vous font perdre votre souveraineté. Il faut relire toute l’approche économique fondée sur le keynésianisme.
Pour vous permettre de mieux comprendre, je prendrai un exemple simple pour montrer comment des choix stratégiques de deux gouvernements aboutissent à des endettements excessifs au niveau du projet, ce qui ensuite vient alourdir la charge d’endettement du pays, tout ceci sans sanction, voire impunité.
Il y a une dizaine d’années, le Togo et le Ghana avaient des problèmes de production d’énergie électrique avec des coupures intempestives. Chaque pays s’est engagé à trouver des solutions pérennes. Le Ghana a choisi de créer la première centrale solaire en Afrique de l’Ouest, le Togo a choisi de sous-traiter à la société américaine Contour Global la production d’énergie à partir de Gaz. Le Togo n’ayant pas de Gaz et ne pouvait le faire venir par pipeline (qui aurait dû être construit entre temps), a opté pour une alimentation en pétrole. Avec le renchérissement des coûts et même des problèmes d’approvisionnement, la centrale électrique, déjà non rentable sur papier, est devenue un gouffre financier. Mais voici que des bruits courent qu’il y aurait des tractations pour transformer la centrale pour permettre l’utilisation du charbon qui viendrait de la Chine, dans le cadre d’un troc… Bref, cette fuite en avant ne résout pas le problème de fond. Le Togo, par son erreur stratégique, se retrouve à payer un endettement pour le remboursement de la centrale électrique sans d’ailleurs avoir réellement résolu le problème d’énergie en termes d’indépendance énergétique. Le Ghana pourra rembourser en moins de 10 ans son investissement en centrale électrique à partir du solaire et assurera de l’énergie électrique pour les générations futures gratuitement. Le Ghana va inaugurer sa centrale solaire en octobre 2015. Le Togo va augmenter son endettement pour un service non rendu à la population.
Cet exemple permet de comprendre comment les arbitrages peu intelligents des uns conduisent à des endettements inutiles sans d’ailleurs résoudre le problème de fonds. Il va sans dire que personne ne peut croire que la corruption n’est pas passée par là. Aussi, lequel de ces deux pays travaille pour le mieux-être de ses populations en termes de priorité ? Je laisse chacun en juger. Aussi, quand on parle d’endettement, il faut avoir de la transparence des comptes publics afin de savoir quels sont les investissements de l’Etat qui sont des échecs et ont souvent conduit à de la mauvaise gouvernance et donc à des coûts venant augmenter l’endettement du pays. Aussi, la première conclusion est que le Gouvernement togolais n’est pas transparent et refuse la vérité sur ses comptes publics par des experts indépendants. Il faut aussi savoir que la position du Fonds monétaire international n’est pas une position neutre ou impartiale, car le FMI ne s’intéresse qu’aux possibilités de remboursement des dettes engagées à son égard ou à l’égard des principaux membres du conseil d’administration, en l’espèce surtout la France et l’Union européenne. Donc, il faut faire attention que les analyses sur l’endettement d’un pays se fasse avec des experts indépendants, si possible des ressortissants du pays engagés dans l’amélioration du bien-être de leurs concitoyens.
3. Kanal FM : Avez-vous quelques données statistiques sur l’endettement du Togo ?
Oui. Je retiendrais six critères 1 : 1. le solde budgétaire, 2. le solde extérieur courant ; 3. le solde de la balance commerciale des biens échangés ; 4. l’endettement du Gouvernement ; 5. la dette intérieure ; 6. Les investissements étrangers directs.
Le solde budgétaire, qui est la capacité d’action réelle du gouvernement d’agir en toute souveraineté. Celle-ci est limitée au Togo, voire nulle, ce qui suppose qu’une partie importante des décisions est liée à celles des créanciers.
Avec un taux de croissance de 5,2 % légèrement inférieur à la moyenne de la zone franc, le Togo ne peut se réjouir car ce pays devrait être autour de 7 % si la transparence des comptes publics et les erreurs d’arbitrages stratégiques, -systématiquement impunies et parfois encouragées- ne parcouraient pas sa trajectoire.
Aussi le solde budgétaire incluant les dons reçus des partenaires au développement est passé de -1,4 % du produit intérieur brut (PIB) en moyenne entre 2004-2008 à -5,8 % du PIB en 2014, sans perspectives d’amélioration en 2015 et 2016 avec un déficit moyen de -5,2 %. Le problème est que ce déficit est structurel et que depuis que Faure Gnassingbé est au pouvoir, celui-ci n’a jamais réussi à ramener ce taux au-dessus de 0 %. Par rapport à la moyenne de l’Afrique subsaharienne de -3,3 % du PIB en 2014 (avec une moyenne 2015 et 2016 de -3,3 % du PIB), le Togo doit être analysé comme un système qui organise une forme de gouvernance économique reposant sur l’endettement sans création de richesses partagées. Autrement dit, depuis plus de 10 ans, les Gouvernements successifs de Faure Gnassingbé ont augmenté leurs dépenses qui sont passées de 19,1 % du PIB (moyenne de 2004 à 2008) à 25,7 % du PIB en 2014 sans perspectives de ralentissement avec 26,5 % pour la moyenne de 2015 et de 2016. A l’inverse, les recettes n’augmentent pas proportionnellement du fait des mauvais arbitrages et aussi de la corruption. Les recettes sont passées de 16,4 % du PIB (moyenne de 2004 à 2008) à 17,8 % du PIB en 2014 et une légère augmentation à 18,4 % pour la moyenne de 2015 et de 2016. Bref, le solde budgétaire est négatif et augmente. C’est la première source de l’endettement chronique du Togo.
Le solde extérieur courant s’est légèrement amélioré mais reste négatif passant de -8,8 % du PIB (moyenne de 2004 à 2008) à -6,3 % du PIB en 2014 avec des prévisions autour de -5,4 % du PIB pour la moyenne de 2015 et de 2016. Rappelons que ces chiffres sont très élevés par rapport à la moyenne de l’Afrique subsaharienne qui avait un solde positif avec 1,9 % du PIB (moyenne de 2004 à 2008) et qui est passée à -3,3 % du PIB en 2014 avec des prévisions autour de -4,4 % du PIB pour la moyenne de 2015 et de 2016. Là encore, le Gouvernement de Faure Gnassingbé en 10 ans n’est jamais parvenu à équilibrer ce compte qui reste donc structurellement déficitaire. Voici la 2e source de l’endettement chronique du Togo.
Le solde de la balance commerciale des biens échangés entre le Togo et le monde extérieur est aussi structurellement déficitaire. Le Togo a complètement raté, voir oublié de s’industrialiser en transformant localement ses matières premières. L’Etat « Faure » a choisi -autre erreur d’arbitrage stratégique- d’exporter sans transformation ou de promouvoir la réexportation sans transformation dans la zone franc. C’est ainsi qu’avec un déficit de -14,2 % du PIB de la balance des marchandises (moyenne de 2004 à 2008), le Togo est incapable de remonter la pente pour tomber à -18,6 %du PIB en 2014 avec des prévisions autour de -19,5 % du PIB pour la moyenne de 2015 et de 2016. En comparaison, l’Afrique subsaharienne est passée, pour les mêmes périodes d’une balance commerciale positive à 6 % (moyenne de 2004 à 2008) à 1,6 %du PIB en 2014, donc toujours positive avec des prévisions autour de -0,9 % du PIB pour la moyenne de 2015 et de 2016. Bref, le Togo est un mauvais élève en termes de solde de la balance commerciale. Il ne suffit pas d’exporter ou de réexporter. Il faut exporter avec de la valeur ajoutée en créant des richesses localement à partir de la transformation locale. Mais, cela ne permet pas à la corruption de prospérer… et il faut travailler dur… Voici la 3e source d’endettement chronique du Togo.
Il importe aussi de noter l’endettement du Gouvernement. Mais ces chiffres doivent être considérés avec prudence car cela ne comporte pas les engagements aux titres des garanties prises sur des sociétés privées ou publiques-privées. Aussi, quand ces sociétés sont déficitaires, une partie des renflouements se font pas l’Etat togolais, ce qui peut expliquer la surprise du FMI de voir l’endettement augmenter brusquement pour ce qui est des comptes liées à la fourniture d’électricité, les engagements du Gouvernement dans le phosphate et surtout dans le port autonome du Togo sont très peu transparentes quant aux déficits occasionnés.
Alors que l’Afrique subsaharienne est passée d’un endettement de 32,8 % (moyenne de 2004 à 2008) à 29,6 % du PIB en 2014 avec des prévisions autour de 32,2 % du PIB pour la moyenne de 2015 et de 2016, le Togo bat des records avec 93,4 % en 2005 (moyenne de 2004-2008). Suite à l’effacement partiel de la dette dans le cadre des programmes pays pauvres très endettés (PPTE) de la Banque mondiale, le Togo a vu sa dette diminuer de près de 50 % avec 47,3 % en 2010. Au lieu de poursuivre sur cette lancée, le Togo a choisi de se rendetter et est déjà passé en moins de 5 ans à 54,7 % du PIB d’endettement pour 2014 (sans les garanties prises sur les sociétés privées) et des prévisions autour de 54,4 % du PIB pour 2015 et 2016. Comme une partie importante des dettes d’entreprises privées et/ou publiques sont garanties par l’Etat togolais, il n’est pas étonnant que le risque d’endettement est démultiplié et peut facilement doubler.
Il est donc inexact, – comme l’affirme le Gouvernement – de dire que l’endettement cumulé avec les provisions pour les garanties accordées aux investisseurs si elles devaient se réaliser, ne conduirait pas au Togo vers une situation d’endettement excessif. C’est d’ailleurs cela qui a été pointé par le FMI dans son dernier rapport sur le Togo. Les engagements inconsidérés avec des entreprises publiques et privées qui ne sont pas viables avec des niveaux de corruption importantes viennent grever les comptes publics. Le Gouvernement se contente de répartir cette charge sur l’ensemble des contribuables et même sur les générations futures et refusent la transparence des comptes publiques par des experts indépendants. L’endettement de l’Etat sans contrepartie en termes de résultats et de création de richesses constitue la 4e source d’endettement chronique du Togo.
A cela, il faut rajouter la dette intérieure. En effet, le Gouvernement de Faure Gnassingbé, sous pression, paye ses créanciers extérieurs mais oublient totalement les créanciers togolais. Le niveau de cette dette intérieure relève de l’inacceptable. Il suffit pourtant de publier les comptes publics et d’enquêter auprès des entrepreneurs locaux qui ont des marchés avec l’Etat, sans compter les délais de paiement dignes des plus grandes bureaucraties du monde. Voici la 5e source d’endettement chronique du Togo.
Par ailleurs, le niveau des investissements étrangers directs ou les investissements en portefeuille chute. Pour ce qui est des investissements en portefeuille, le niveau est de zéro. Pour ce qui est des investissements publics ou privés garanties en 2013, plus de 62 % (563 millions de dollars des Etats Unis ($EU) constitue la dette extérieure du Togo qui s’élevait à 903 millions de $EU. Ceci corrobore les chiffres portant sur l’augmentation structurelle des dépenses du Gouvernement qui sont passées de 19,1 % en moyenne en 2005 (moyenne 2004-2008) à 25,7 5% du PIB en 2014 avec des prévisions moyennes de 26,5 % du PIB en 2005 et 2006.
Alors avec une telle politique, les investisseurs ne se bousculent pas pour investir au Togo, au contraire, ils fuient et ce sont plutôt les mafieux et peu responsables socialement qui sont attirés, tant le mode de fonctionnement repose sur l’injustice et la corruption. C’est ainsi que les IED sont passés de 3,1 % en 2005 (moyenne 2004-2008) à 1,1 % en 2014, soit une chute de plus de 60 %. Les prévisions pour 2015-2016 sont moroses avec à peine 1 % d’IED alors que la moyenne pour l’Afrique subsaharienne est de 2,3, 34,8 % pour la Zone franc, 3,8 % du PIB pour l’UEMOA et même 6,2 % du PIB pour la CEMAC. Bref, la gouvernance de Faure Gnassingbé attire les investisseurs mafieux et chasse les investisseurs socialement responsables et éthiques.
Faut-il rappeler que le niveau des investissements étrangers directs (IED) sans garantie de l’Etat est tombé à zéro. C’est-à-dire que personne ne se risque à investir au Togo sans la garantie de l’Etat. Et la garantie de l’Etat n’est pas octroyée sans contreparties qui peuvent épouser les formes de la corruption que la transparence des comptes publiques aurait permis de dévoiler. Donc que le Togo refuse la transparence des comptes publics n’est que l’envers d’une même pièce de monnaie où l’autre face serait la vérité des urnes.
4. Kanal FM : quelle solution préconisez-vous pour réduire cet endettement et assurer le développement du Togo ?
Le Togo court un risque d’abord de dépendance accrue, de perte de souveraineté économique du fait d’un endettement accéléré ne permettant pas de créer de la richesse pour les populations togolaises. Je préconise de ne pas féliciter ceux qui endettent le Togo avec des délais de grâce que permettent de repousser à plus tard les paiements, notamment sur les prochains gouvernements de l’alternance ou même les générations futures.
Je suggère que le Togo, par la voix du Gouvernement :
a) accepte, pour une fois, une mission d’experts indépendants pour évaluer le bilan des arbitrages économiques effectués et les effets directs et indirects sur la création de richesses, d’emplois et d’amélioration du bien-être des citoyens togolais.
b) mette en place une sorte de cour des comptes indépendante dont les membres ne peuvent être ni nommés, ni révoqués par le pouvoir. Mais que les membres soient proposés sur la base d’un appel d’offre, puis choisis et élus sur une liste d’experts par un comité paritaire (gouvernement, opposition dont les modalités restent à déterminer compte tenu du rôle parfois peu clairs de l’opposition elle-même pour ce qui est de la transparence des comptes publics ;
c) fixe un tableau de bord stratégique d’objectifs d’endettement à atteindre en fonction de la création de richesses. Autrement dit, aucun investissement public ou privé avec la garantie de l’Etat ne doit faire l’objet d’une approbation si les retours sur investissement au plan économique et financier, mais aussi au plan social et de l’emploi ne sont pas atteints, au moins dans les études prévisionnelles ; enfin
d) auditer l’ensemble des entreprises publiques et administrations qui sont devenus des véritables centres de « coûts », changer le management et leadership et assurer que ces structures deviennent des équipes de création de richesses, chacun dans son domaine de spécialisation ;
e) payer en priorité la dette envers les entreprises et entrepreneurs togolais pour permettre de soutenir la croissance économique et l’emploi.
5. Kanal FM : Votre mot de fin ?
Il faut retrouver un équilibre entre les investissements et orienter les endettements futurs du Togo vers tous projets qui créent de la richesse et qui utilisent les citoyens togolais en leur assurant une amélioration du pouvoir d’achat et une compétence qui permet la viabilité micro-économique qui seule permet la viabilité macro-économique. Pour le Togo, cet équilibre est en danger car les réserves du pays ont fondu de moitié depuis que Faure Gnassingbé est au pouvoir. Le Togo disposait de réserves d’environ 3,2 mois d’importations de biens en 2005 (moyenne 2004-2008) et se retrouve après la gouvernance du système RPT/UNIR plus qu’à 1,9 % d’importations de biens en 2014, soit une contraction de près de 45 %. Le fait de piocher dans les réserves est un signe de mauvaise gouvernance, permettant de ralentir le niveau d’endettement du Togo au niveau des statistiques. Mais c’est la vulnérabilité et la dépendance du Togo qui augmentent dangereusement, au point de permettre demain que les créanciers s’emparent, – par la voie des privatisations – de pans entiers des richesses et des capacités productives du Togo. Si c’est cela l’objectif à atteint après 10 ans de règne du système actuel, le Togo recule et avance en défendant les intérêts étrangers et non ceux des citoyens togolais.
6. Kanal FM : Je vous remercie.
C’est moi qui vous remercie. Bonjour au Togo.
14 août 2015.
© Kanal FM & Afrocentricity.info
Notes:
- IMF (2015). REO. SSA April 2015. IMF : Washington D. C. ↩