« Jouer à être Dieu est amusant, mais cela a un prix »
[Mikal Hem, “Et si je devenais dictateur”. Ed. Gaïa, Paris, 2017, p. 180]
En date du 27 août écoulé, j’ai rédigé et diffusé un article intitulé
« INVITATION À LIRE !!! OU LE DESPOTE MIS À NU »
Ce faisant, j’étais et bien entendu je suis encore parfaitement (!) conscient que très peu des jeunes Africains auxquels s’adresse cette invitation n’ont nullement (!) – contrairement à moi – le privilège d’accéder aisément à l’ouvrage en considération. Voilà pourquoi je prends sur moi de reproduire ici un copieux pan du dixième et dernier chapitre de l’opuscule ci-dessus cité en épigraphe. Et ce, en raison de l’évidente (!) pertinence et de la facture directement (!) édificatrice de cette conclusion. Au reste, le titre du présent article n’est autre chose que le chapeau-même (!) dudit dixième et dernier chapitre.
Et maintenant, lecture !
« 10. Partir à temps
Dans la mesure où vous suivez les exemples décrits dans les chapitres précédents, vous devriez mener une existence de dictateur pour le moins épanouie. Vous découvrirez vite que cette fonction présente autrement plus d’avantages que celle dont bénéficient vos homologues démocratiquement élus, d’autant qu’ils occupent leur fauteuil présidentiel pendant une durée nettement plus courte que vous. Durant votre mandature, vous pourrez devenir riche à millions, être adulé comme un dieu et vous enivrer du pouvoir. Mais tous les autocrates du monde devraient aussi avoir conscience d’une chose : la fin de leur carrière politique peut arriver plus vite qu’ils ne le croient – et là, il s’agit d’être prêt.
Si vous parvenez à vous maintenir au pouvoir sans être victime d’un coup d’État ou d’un attentat, deux possibilités s’offrent à vous : soit vous siégez jusqu’à la fin de vos jours, soit vous choisissez de vous retirer et de céder votre place à un autre. Très peu de dictateurs optent pour cette solution. Quand on leur laisse le choix, ils restent en fonction jusqu’à leur mort. Plusieurs raisons à cela : dans une monarchie, le roi, l’émir, le sultan ou le prince restent bien sûr souverains toute leur vie ; lorsqu’ils tombent malades ou se révèlent trop vieux pour s’occuper des affaires courantes, le premier héritier figurant dans l’ordre de succession au trône fait office de régent, mais les monarques en question conservent malgré tout leur titre jusqu’au bout.
Pour certains dictateurs, la situation se présente différemment. En tant que chef d’État démissionnaire, vous avez tout intérêt à vous soucier en amont des graves conséquences qui vous attendent. Vous risquez en effet d’être accusé de violation des droits de l’Homme, corruption, népotisme, fraude électorale, d’être présenté à la justice pour avoir conquis illégalement le pouvoir ou avoir commis des infractions dans l’exercice de vos fonctions. Il y a tant de gens mesquins et envieux, qui considèrent que leurs intérêts n’ont pas été suffisamment bien défendus sous votre domination.
En outre, la coterie représente une réelle menace dès qu’un dictateur jette l’éponge. Généralement, une pléiade de conjurés attend en embuscade afin de s’emparer du pouvoir – et ce, sans parler du peuple qui peut sauter sur l’occasion pour fomenter une révolte. Aussi est-il judicieux de désigner à l’avance un héritier. Or, même si vous choisissez vous-même votre digne successeur, vous n’êtes pas à l’abri de le voir vous planter un couteau dans le dos si une telle trahison peut lui être bénéfique. Enfin, les tyrans rechignent à prendre leur retraite dans leur propre pays : c’est trop risqué. Ils préfèrent de loin vivre de leur rente dans un pays ami, bien intentionné à leur égard. En cela, ils ne sont pas sans rappeler les retraités norvégiens qui s’installent sur la côte espagnole. Eux aussi, c’est le climat qui les attire ; même si le climat politique pèse nettement plus dans la balance pour les premiers. »
[Mikal Hem, op. cit., pp. 205-206]
Paris, le 10 octobre 2018
Godwin Tété