Gabriel Agbéyomé KODJO
Président National de OBUTS 1 , Coordinateur National Provisoire du CVU 2 et Président du Groupe Afrique du Forum Francophone des Affaires
Allocution prononcée au Forum Francophone des Affaires (FFA) dans le cadre du 13e Sommet de L’Organisation Internationale de la Francophonie, Genève, Suisse
Thème : L’avenir de l’économie africaine dans le cadre de la mondialisation des échanges
Monsieur le Représentant du Président de la République Française,
Monsieur le Représentant du Secrétaire Général de l’OIF,
Monsieur le Président du Bureau International du FFA,
Mesdames Messieurs les Présidents des Groupes Continentaux du FFA,
Messieurs les Chefs d’Entreprise,
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
En nous accueillant en terre Genevoise au Forum Francophone des Affaires jumelé au 8e Forum EMA Invest dans le cadre du 13e sommet de la Francophonie, je ne peux m’empêcher de penser à la discrétion, la simplicité, la sollicitude et le respect de l’environnement caractéristiques du peuple suisse en général. La “neutralité” de la Suisse, son message de coexistence pacifique avec d’autres langues, son attachement à la Démocratie, aux Droits humains et à la Paix, sa rigueur au travail constituent autant de valeurs cardinales qui font bien écho aux idéaux de la Francophonie.
C’est donc ravi que je remercie très chaleureusement, Monsieur Stève Gentili, Président du Bureau International du Forum Francophone des Affaires ainsi que tous les organisateurs pour l’accueil chaleureux et l’importance accordée à l’émergence de l’économie africaine dans nos débats.
L’avenir de l’économie africaine est un vaste chantier comme nous l’avions vu hier au travers des débats riches et féconds, à la suite des interventions aussi pertinentes qu’animées révélées par les différentes thématiques.
Il se pose en termes de conjectures multiples et contradictoires, tant il dépend des actes posés par les différents acteurs dans le cadre de la mondialisation des échanges.
Aujourd’hui, la vraie question est de savoir comment est-ce que les différentes orientations prises dans le cadre de l’économie pourraient contribuer à soutenir le développement en général, et celui de l’Afrique en particulier ?
Cela semble une énigme si des efforts ne sont pas faits pour analyser les erreurs et échecs du passé, après cinquante années d’indépendance de la plupart des pays africains. Car il s’agit en réalité d’un problème complexe dans lequel l’économie n’intervient pas seule en dehors de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance.
Mesdames, Messieurs,
Avec 18,9 % des exportations et 19 % des importations mondiales, les pays de l’OIF représentent 19 % du commerce mondial de marchandises en 2008. L’ensemble de l’Afrique ne représentant que 3,5 % du commerce mondial de marchandises pour la même année, il est facile de constater que les pays francophones africains représentent moins de 1,5 % du total. Ainsi pour fonder de nouvelles bases de relations économiques entre les pays francophones en déficit commercial avec leurs partenaires internationaux, c’est tout une nouvelle forme de “solidarité contractuelle” qu’il importe de promouvoir pour soutenir un esprit constructif dans les relations partenariales dans notre gouvernance de la coopération.
L’avenir de l’économie africaine dans le cadre de la mondialisation des échanges ne peut être une copie conforme des 5 dernières décennies entre les membres des pays francophones. Je propose à ce titre d’ailleurs, que le Secrétaire général puisse prévoir des réunions d’experts pour préparer lors du 14e sommet à Kinshasa en République Démocratique du Congo, une dizaine de thèmes porteurs pour refonder notre collaboration autour d’une véritable solidarité dans l’organisation des échanges, ce qui ne peut se faire sans le volet productif à savoir la transformation des matières premières sur place dans nos pays. Je rappelle à ce titre que tous les chefs d’Etat africains avaient signé un accord pour relancer les capacités productives en Afrique afin d’améliorer la position des pays à intégrer plus de valeurs ajoutées lors de la transformation et augmenter ainsi leur part dans l’appropriation des échanges mondiaux. Nul doute que cette initiative permettra l’amélioration du pouvoir d’achat et la création d’emplois dans les pays les moins industrialisés au sein de la francophonie !
De nombreux facteurs expliquent la rapidité avec laquelle le processus de globalisation de l’économie a conduit à la disparition des frontières donnant naissance à une économie virtuelle. La dernière crise financière de 2008 due principalement à l’excès de dérégulation, est là pour servir de témoignage d’un manque de maîtrise évident de la mondialisation. Des échanges entre pays riches et pays pauvres ne peuvent pas se dérouler sur des bases équitables si la maîtrise des nouvelles technologies de l’information et de la communication, de même que les services financiers et commerciaux qui l’accompagnent ne font pas partie de la formation dans les pays les moins bien lotis pour soutenir la mondialisation des échanges. Il est vrai que l’Organisation Mondiale du Commerce tente de réduire les barrières douanières. Toutefois avec la contraction des marchés, les déficits colossaux de nombreux pays avancés, les échanges marchands sont de plus en plus réglementés sur des bases juridiques. Alors que le libre-échange est prôné ici et là, c’est souvent des dérogations qui font office de règles du commerce bilatéral et régional. Les formes de protectionnisme se complexifient et demandent des équipes pour contrôler et sanctionner. Il en résulte que ce sont les pays pauvres et particulièrement l’Afrique qui sont les vrais perdants dans ces échanges.
Certes le néo-libéralisme sans régulation a permis la création de nouveaux espaces régionaux. Pour autant l’intégration économique au niveau des régions reste un défi au plan opérationnel en Afrique. Les politiques d’ajustements structurels fondés sur le consensus de Washington au cours des années 1980 ont conduit à affaiblir l’Etat en Afrique et limiter les investissements dans les infrastructures notamment dans l’éducation, la santé et les communications. Des pans entiers de la production et de la commercialisation des produits halieutiques et issus de l’agriculture, du fait de privatisations mal organisées ont conduit à des transferts de propriété. C’est ainsi que dans certaines régions, au lieu que la production soutienne le développement local à la base, elle est plutôt orientée vers des marchés extérieurs sans création de valeurs ajoutées. La notion d’avantages comparatifs n’a pas permis aux relations partenariales entre les pays francophones et a fortiori entre le monde francophone et le monde international de satisfaire les besoins essentiels des populations dans la plupart des pays francophones ayant le français en partage.
Il y a donc lieu de revoir ensemble les relations partenariales entre les nations et les sociétés disposant d’une capacité de production et de commercialisation, et celles qui en ont moins. La régulation doit donc aussi intervenir dans les échanges commerciaux, ceci dans le cadre d’une flexibilité liée aux territoires ou régions concernés.
Mesdames, Messieurs,
J’appelle donc à un sursaut de “sens” pour un retour vers l’éthique dans la mondialisation des échanges notamment entre les pays membres de la Francophonie.
Si l’on doit tenter de prédire l’avenir du processus actuel, l’économie africaine, sans innovation endogène mais aussi réduction des contraintes internes et externes, ne pourra que se scinder en autant de composantes que de dirigeants à la tête des Etats. En réalité, les différences risquent de s’accentuer avec des améliorations notables dans les pays et régions faisant reposer leur gouvernance économique et politique sur le respect d’un Etat de droit et une démocratie non palliative. La pauvreté ne pourra se réduire que si les Etats prennent conscience que cette réduction passe par une meilleure redistribution des fruits de la croissance à l’intérieur même des territoires nationaux, et a fortiori entre les pays ayant en partage le français. Il est donc bien question de réussir la mutation de l’économie africaine, et celle-ci ne pourra se faire que dans le cadre d’une approche multisectorielle et avec des expertises multidisciplinaires.
Je considère mon intervention, non pas comme une solution à la question posée à savoir “L’avenir de l’économie africaine dans le cadre de la mondialisation des échanges”, mais comme l’occasion de sensibiliser tous les participants et plus particulièrement les hautes autorités de la francophonie sur l’impérieuse nécessité d’une attention particulière à l’économie des pays dans lesquels le pouvoir d’achat des populations ne permet pas de soutenir une vraie compétition mondiale. Aussi, au lieu d’avoir des gagnants et des perdants au sein de la famille francophone, voire des exclus, il y a lieu de consacrer non seulement de la réflexion mais d’œuvrer peut-être à proposer des solutions concrètes pour sortir des impasses que constituent pour beaucoup de pays africains les nouveaux accords de partenariats commerciaux entre les pays du Nord et ceux du Sud, mais aussi à rendre plus transparents, les accords entre les pays émergents dont la Chine et les pays africains.
La mauvaise trajectoire pour l’économie africaine est la paupérisation par poches isolées et marginalisées, ce qui ne peut que réveiller des relents d’extrémisme et de violence qui mettraient en danger la paix. La bonne trajectoire pour l’économie africaine serait alors le sursaut de solidarité d’abord entre pays francophones, ensuite entre le monde francophone et le reste du monde avec en filigrane des formes nouvelles de création de richesses partagées, venant soutenir de manière structurelle un développement harmonieux respectueux de l’humain.
Mesdames, Messieurs,
Aujourd’hui il émerge une nouvelle génération d’Africains avec un capital multiculturel évident et des expertises variées qui porte un nouveau regard sur l’Afrique, et propose de nouveaux horizons pour les populations. C’est la preuve qu’une mutation est en cours pour promouvoir une économie africaine compétitive. Ainsi les démocraties palliatives ne peuvent plus perdurer si l’économie africaine doit émerger au service des populations locales. Il y va de la responsabilité de nous tous, même s’il appartient aux Africains eux-mêmes de structurer leur destin commun. Il s’agit réellement de bâtir dans l’union de nouvelles formes de dialogue responsable où le principe du gagnant-gagnant n’est plus décrété de manière unilatérale par l’une ou l’autre des parties. L’Organisation Internationale de la Francophonie, de par sa mission, sa fonction et ses dirigeants actuels, ne peut qu’être le catalyseur idéal pour fonder ce nouveau partenariat que j’appelle de tous mes vœux. Il faut donc bien trouver un consensus nouveau, et cela suppose des initiatives de plus en plus audacieuses et opérationnelles qui impliquent les populations, une garantie sur les règles du jeu politique et institutionnel aussi bien dans l’environnement des affaires que du droit. Dans cette perspective, le rôle fondamental des médias, des mouvements citoyens et des organisations non gouvernementales pour améliorer le civisme ne saurait être relégué au second plan. L’exigence de mieux être des populations fera que dans les années à venir, c’est l’urbanisation incontrôlée, le déni de l’accès à la terre, les limitations dans les formations des expertises adaptées et la vérité des comptes publics qui formeront les principaux défis auxquels l’économie devra faire face.
Rien ne doit faire oublier l’apport indéniable de l’aide au développement de moins en moins importante dans les budgets des Etats. Mais l’essentiel de l’amélioration de l’économie africaine reposera sur les mutations et la démocratisation des capacités productives et commerciales locales, de même que les infrastructures physiques et de qualité de la production africaine. L’entrepreneuriat et le développement d’un secteur privé plus responsable allié à un nouveau partenariat entre les centres d’expertise, de formation et l’entreprise devraient permettre d’introduire plus de valeurs ajoutées et de diffusion technologique sur le continent.
Cela ne peut se faire que si l’ensemble des partenaires sont traités sur un même pied d’égalité et que tout le processus est transparent avec des résultats expliqués périodiquement aux populations. Cela suppose alors de mettre en place une véritable contractualisation de la solidarité. La Francophonie en a les moyens. Elle peut s’en donner les moyens. Elle peut le faire sur une base pilote avec les Etats et entreprises volontaires. Mais elle ne peut faire l’économie de passer cette initiative à d’autres, à moins de refuser d’anticiper l’environnement de création d’emplois futurs et de distribution de pouvoir d’achat. Il ne s’agit plus d’assistance mais bien de partenariat sur la base d’un engagement contractuel volontaire !
Avec ses 56 États et gouvernements membres, et quatorze Observateurs totalisant une population de 870 millions de personnes, dont 200 millions d’individus s’exprimant en français, l’OIF est présente sur les cinq continents et représente un tiers des membres de l’Organisation des Nations Unies. Si plus personne ne doute de la capacité de l’OIF à promouvoir la diversité, la solidarité au plan culturel, le défi de l’avenir de l’économie africaine relève de l’audace et de l’innovation dans le cadre d’une économie mondiale complexe, changeante et où la compétitivité accrue est promue par la mondialisation des échanges. Les valeurs communes doivent pouvoir permettre des accords sur la solidarité contractuelle, au moins sur la base de volontariat. Je ne doute pas un instant que mes propos trouveront auprès de chacun d’entre vous un écho favorable pour une mondialisation à visage humain à l’image de la démocratie suisse. Il est arrivé le moment de trouver nécessairement les moyens pour accompagner humainement et durablement la poussée démographique qui prend le pas sur la croissance économique !
Je vous remercie pour votre attention.
Gabriel Agbéyomé KODJO.