Mon pays va mal, mon pays va mal. Ce refrain d’un morceau du répertoire musical de l’artiste ivoirien Tiken Jah Fakoly sied bien pour décrire la situation de la Terre de nos aïeux. En effet le Togo va mal ; une atmosphère lugubre s’est installée depuis l’ouverture de la période de contestation des résultats du scrutin présidentiel du 4 mars dernier ayant vu proclamer Faure Gnassingbé vainqueur au nez et à la barbe du « vrai vainqueur » des urnes. Et le climat n’a cessé de se dégrader au fil des jours, à tel point qu’il est permis de dire aujourd’hui que le Togo est au bord de l’implosion. Il revenait aux différents acteurs politiques nationaux et internationaux, à la société civile et aux Togolais eux-mêmes de prendre la mesure du danger. Mais tous ou presque fuient leurs responsabilités. Ce climat délétère va de paire avec une immoralité outrancière dont font preuve tous ces acteurs.
Les gouvernants
L’une des prérogatives régaliennes du pouvoir politique et des corps habillés c’est de protéger la population. Mais au Togo avec cette période postélectorale, les citoyens sont devenus des ennemis à abattre. Les gouvernants n’hésitent pas à déverser aux trousses des populations qui expriment leurs humeurs –un droit constitutionnel- des forces de l’ordre et de sécurité qui éprouvent un réel plaisir à les réprimer. Violences physiques, passage à tabac, enfumage à l’aide de grenades lacrymogènes, arrestations arbitraires, voilà le triste destin des manifestants. On ne dirait même pas que ce sont ces contribuables qui habillent et équipent les corps habillés. Aujourd’hui, les libertés d’expression et de culte sont restreintes. Plus de marche de protestation, plus de veillée de prière. Rien de tout cela n’est légalement interdit, mais ce sont des escadrons d’éléments armés jusqu’aux dents qui sont déployés sur les lieux de manifestation, et sans aucun ménagement, ils répriment les protestataires. Et pourtant on crie sur tous les toits que le Togo est un Etat de droit, de démocratie.
La Justice dont la modernisation est financée à coup de milliards et tout l’appareil d’Etat sont utilisés pour disloquer des partis de l’opposition qui contestent la réélection de Faure Gnassingbé. L’Organisation pour bâtir dans l’union un Togo solidaire (Obuts) d’Agbéyomé Kodjo et l’Union des forces de changement (Ufc) sont passés par-là. Dans tout ce méli-mélo, l’« heureux élu » du 4 mars reste dans sa tour d’ivoire et laisse ses hommes de main et la soldatesque sévir contre les populations qui l’auraient élu (sic) à hauteur de 61% des suffrages. Ce qui frise de l’ingratitude.
Au Togo d’aujourd’hui, un officier de la Gendarmerie a toute la latitude de lever la main sur un député de la République sans être inquiété, le cas du fameux Capitaine Kondo de la Gendarmerie qui a assené des coups de matraque à Jean-Pierre Fabre le 1er septembre dernier. Un ministre peut mentir effrontément, comme Atcha Titikpina qui pond des communiqués qui prennent le contre-pied total de la réalité, même en pleine période de carême où les musulmans sont astreints de proscrire le péché. C’est la morale même qui semble avoir fui les gouvernants togolais. Dans l’affaire Didier LEDOUX et Romuald Letondot, au moment où Paris désavouait l’officier français et le punit, le pouvoir de Lomé lui, pond un communiqué pour prendre sa défense et charger en plus le compatriote togolais.
La classe politique et la société civile
Le rôle de l’opposition dans un pays, entre autres, c’est de dénoncer les tares du régime en place, les abus et alerter l’opinion d’un danger. Point n’est besoin de redire que l’atmosphère sociopolitique actuelle est heurtée et que si les acteurs ne retrouvent pas la raison, c’est le chaos assuré. La violence policière se banalise au Togo. Bien que ce soient des droits constitutionnels, les Togolais n’ont plus le droit de manifester, ou de prier. Les libertés sont en train d’être réduites une à une. Les partis politiques les plus virulents de l’opposition sont dissous ou neutralisés. Ce sont des acquis démocratiques qui partent ainsi en lambeaux. Une telle situation devrait interpeller tout parti politique qui se dit de l’opposition. Mais combien ont-ils le courage de dénoncer ces violations des droits de l’Homme, sur la quatre-vingtaine de partis politiques existant au Togo ? Seul le Parti démocratique panafricain (Pdp) de Bassabi Kagbara l’a fait ouvertement à part bien sûr les partis membres du Front républicain pour l’alternance et le changement (Frac). Le Comité d’action pour le renouveau (Car), fidèle à ses habitudes, n’a fait que survoler la question, hypocritement. C’est le silence total de la part des autres partis. Chaque leader dans son coin fait des calculs politiciens. Certains devraient même souhaiter intérieurement que l’Union des forces de changement (Ufc) qui leur fait de l’ombre au sein de l’opposition disparaisse, et comme cela leurs partis peuvent émerger. La plupart évitent d’afficher leur compassion à l’endroit de Jean-Pierre Fabre et ses sympathisant histoire de préserver des intérêts et des chances d’être appelés à la table du roi. Ils ne veulent pas fâcher les « argentiers » du Togo.
Cela vaut également pour la société civile qui est censée jouer au gendarme derrière les politiques. Combien de ces organisations de la société civiles n’existent-elles pas au Togo ? Mais combien ont osé se prononcer sur la situation délétère actuelle ?
La presse togolaise
L’immoralité a même atteint son pic dans la corporation. Ce n’est pas a priori dramatique que les positions sur les événements divergent d’un organe à un autre, d’un journaliste à un autre. C’est la marque même de la démocratie où chacun est censé avoir son opinion. Mais là où cela fait scandale, c’est quand des journalistes se réjouissent des malheurs de leurs confrères. Certains n’hésitent pas à charger leurs confrères en situation, en plus de manquer de compassion à leur égard. Des journalistes n’ont pas hésité à charger le confrère Didier Ledoux dans l’affaire de l’agression dont il a été victime de la part de l’officier français. Certains se réjouissent même des menaces, intimidations et autres procès intentés contres des organes. Et pourtant c’est la liberté de presse même qui est en jeu, et cela devrait être l’affaire de tout le monde. Les journalistes devaient se lever comme un seul homme pour défendre leur cause.
Le plus choquant vient des organisations et autres structures mêmes de régulation des médias. L’Union des journalistes indépendants du Togo (Ujit) n’a que timidement abordé la mésaventure de Didier Ledoux avec l’officier français. Aucun mot sur l’enlèvement suivi de passage à tabac dont le confrère a été victime il y a un peu plus de deux semaines de la part d’éléments de la gendarmerie. Aucune compassion de l’Observatoire togolais des médias (Otm), le tribunal des pairs, de la Haute autorité de l’audio-visuel et de la communication (Haac), l’organisation de régularisation des médias, dans cette affaire de plainte en cascade contre des organes critiques à l’endroit de Faure Gnassingbé. Obnubilés par des postes à la Haac, leurs premiers responsables, qui sont pourtant des professionnels de media, ont proprement chargé les assignés, donnant ainsi raison aux plaignants d’aller saisir la justice, bien qu’il existe des procédures de conciliation. La Haac a même pondu un communiqué chargeant proprement Didier Ledoux au sujet de l’incident avec l’officier français. Un cynisme cru.
Les hommes de Dieu ne sont pas du reste. L’Eglise qui devrait servir d’exemple, de référence en matière de moralité est aussi emballée. Au nom des intérêts, les hommes de Dieu perdent leur vertu. L’Eglise catholique n’a pas jusqu’à ce jour rendu public le rapport final de sa mission d’observation électorale accréditée pour suivre le scrutin du 4 mars dernier. Elle qui était beaucoup engagée dans le processus démocratique au Togo garde le silence sur les violations actuelles des droits de l’Homme, une caution tacite à ces faits. Les organisations de défense des droits de l’Homme, il en existe une pléthore. Leurs matières premières ce sont les droits de l’Homme. Mais combien sont-elles à briser le silence pour condamner les violations systématiques actuelles ? Au Togo actuel, pour des miettes, on est capable de « vendre » son voisin. L’immoralité a atteint son summum.
Tino Kossi
Source : http://www.libertetg.com/contenus.php?id_art=296&content=1&tabloo=une_princ