Le journaliste, Didier Ledoux, a été successivement malmené par l’armée française et la gendarmerie togolaise. Il témoigne en exclusivité des atteintes à la liberté de la presse dans son pays. Le pouvoir entend museler les médias indépendants. Lomé, correspondance.
Les faits et gestes du pouvoir RPT (Rassemblement du peuple togolais, parti au pouvoir depuis plus de quarante-trois ans sans partage) confirment sa volonté d’en finir avec une presse jugée gênante. Pour atteindre ses objectifs, à en croire les professionnels des médias, le pouvoir se sert de la justice comme instrument de musellement de la presse. La preuve : dans la seule matinée du mercredi 25 août, sept procès contre des organes de presse étaient prévus.
Dès le matin, les journalistes, les responsables de médias et les défenseurs de la liberté de la presse étaient présents au tribunal de Lomé. Devaient comparaître les organes suivants : Tribune d’Afrique, l’Indépendant Express, Magnan libéré, Forum de la semaine, Chronique de la semaine. Seul le journaliste Prosper L’Allemand, de Radio Victoire, personnellement cité, n’avait pas fait le déplacement, mais il était représenté par son conseil. Outre ces organes précités, le quotidien Liberté, Le Correcteur sont aussi dans le collimateur de la justice, comme Golf Info, condamné à une amende de 80 millions de FCFA.
Contre la Tribune d’Afrique, il s’agit d’une plainte de M. Mey Gnassingbé, chargé de mission à la présidence de la République et demi-frère de Faure Gnassingbé, « président de la République ». Le journal se voit reprocher la publication de l’article intitulé : « La poudre blanche qui noircit les palais présidentiels, trafics de drogue au sommet de l’État, le Togo dans un réseau, Mey Gnassingbé indexé, comment la cocaïne embastille les hommes du président. » Le tribunal a condamné le magazine à une amende de 63 millions de FCFA (l’équivalent de 96 185 euros), soit 60 millions de FCFA (91 603 euros) à verser à Mey Gnassingbé et 3 millions de FCFA (4 581 euros) pour frais divers. Au terme de ce procès, qui n’a duré que 15 minutes, Max Carmel, ancien directeur de publication de Tribune d’Afrique, s’est insurgé contre un verdict inadmissible et scandaleux. « Nulle part nous n’avons indexé directement Mey Gnassingbé comme trafiquant de drogue », s’est-il défendu. Pour lui, il y a des mains politiques derrière ce procès qui illustre une instrumentalisation de la justice. Max Carmel, chargé de la gestion de cette crise au sein du journal, a indiqué vouloir interjeter appel et pense user de toutes les voies de recours au Togo et même sur le plan international, au cas où le droit ne serait pas dit. L’homme se dit indigné de cette condamnation. « Avec tout le respect que j’ai pour la justice togolaise, je ne m’attendais pas à ce qu’une plainte aussi curieuse aboutisse à une amende de 60 millions de FCFA. Je trouve ça énorme. Je suis vraiment scandalisé. On ne peut plus faire confiance à cette justice. Cela ressemble à une expédition politicienne », a-t-il lâché dans sa colère.
A ensuite comparu le directeur de publication de l’hebdomadaire l’Indépendant Express, qui a reçu une citation directe à la requête de M. Faure Gnassingbé, à la suite d’un article traitant d’une affaire de mœurs. La publication mettait aussi en cause Adébayor Shéyi, l’ex-capitaine des Éperviers (équipe nationale du Togo), joueur du Manchester City, qui a assigné le journal en justice il y a quelques semaines. Accusé de diffusion de fausses informations, de diffamations et injures, d’atteinte à l’honneur, le journal pourrait devoir payer la somme de 100 millions de FCFA (152 671 euros) à titre de dommages et intérêts. Le procès a été renvoyé au 29 septembre. Le directeur de publication de l’Indépendant Express, Carlos Komlanvi Kétohou, assure pouvoir apporter des éléments de preuves. Mais il reste sceptique sur le déroulement du procès. « Si ce procès n’est pas un procès politique qui a pour objectif de museler un journal qui dérange, nous pensons que les responsabilités seront établies. Mais si c’est un procès politique, nous redoutons une procédure viciée. La liberté de la presse est mise à rude épreuve en ce moment », a souligné le requis, qui est aussi président de Jdho (Journalistes pour les droits de l’homme), une association de protection des journalistes.
On note également la citation directe à l’encontre du journal Magnan libéré, qui, lui, a été assigné par une société privée à la suite d’un article qu’elle estimait diffamatoire et attentatoire à son honneur, sa dignité et sa réputation. Dans sa réquisition, le procureur a reconnu coupable M. Abass Issaka, directeur de publication, et l’a condamné à payer 5 millions de FCFA (7 867 euros) de dommages et intérêts à la requérante. Il a également ordonné la suspension du journal.
Au vu de ces procès en cascade contre la presse privée, de nombreux professionnels des médias s’interrogent sur l’avenir de la liberté de la presse au Togo. Les journalistes, eux, s’inquiètent des violences, intimidations et menaces dont ils sont la cible au quotidien dans l’exercice de leur profession.
L’exemple qui reste gravé dans les esprits est l’enlèvement de l’auteur de ces lignes par les éléments de la gendarmerie nationale togolaise, alors qu’il couvrait ces procès pour l’Humanité : après avoir été tabassé et piqué par un corps étranger, j’ai été conduit vers une destination inconnue avant d’être abandonné à mon sort dans une ruelle, loin du lieu du kidnapping.
Pour rappel, sous pression de l’Union européenne, qui fait du respect des droits de l’homme et des principes démocratiques une condition sine qua non de la reprise de la coopération entre elle et le Togo, les autorités togolaises ont apporté une touche au Code de la presse. Le 30 août 2004, naissait un nouveau Code dépénalisant de délit de presse, à la grande joie des journalistes togolais.
Aujourd’hui, les journalistes craignent une remise en question de ce nouveau Code de la presse.
DÉmocratie
Didier Ledoux